mardi 20 avril 2010

Noam Chomsky Raison & liberté Sur la nature humaine, l’éducation & le rôle des intellectuels


















Noam Chomsky
Raison & liberté
Sur la nature humaine, l’éducation & le rôle des intellectuels

Préface de Jacques Bouveresse
Traduit de l’anglais par Frédéric Cotton, Aude Bandini et Jean-Jacques Rosat
Textes choisis et présentés par Thierry Discepolo et Jean-Jacques Rosat
Agone
2010



Présentation de l'éditeur
« L’action politique et sociale doit être ­animée par une vision de la société future et par des jugements de valeur explicites, qui doivent ­découler d’une conception de la nature humaine. Si l’esprit humain était dépourvu de structures innées, nous serions des êtres indéfiniment malléables, et nous serions alors parfaitement appropriés au formatage de notre comportement par l’État autoritaire, le chef d’entreprise, le technocrate et le comité central.
Ceux qui ont une certaine confiance dans l’espèce humaine espéreront qu’il n’en est pas ainsi. Je pense que l’étude du langage peut fournir certaines lumières pour comprendre les possibilités d’une action libre et créatrice dans le cadre d’un système de règles qui reflète, au moins partiellement, les propriétés intrinsèques de l’organisation de l’esprit humain. »

Ce livre réunit onze textes de Noam Chomsky pour la plupart inédits en français. Offrant un large panorama de ses idées, il fait apparaître le fil qui relie son socialisme libertaire à son œuvre de linguiste et à son anthropologie : notre irrépressible besoin de liberté est inséparable de la créativité illimitée du langage qui fait de nous des êtres humains. Chomsky montre comment l’école et l’université pourraient éduquer à autre chose qu’à l’obéissance, les intellectuels de gauche jouer un autre rôle que celui de commissaires du contrôle des esprits, et les mouvements civiques et sociaux imposer des réformes radicales. C’est en héritier des Lumières et de la tradition rationaliste que Chomsky pense et intervient.
Linguiste, Noam Chomsky est professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Boston). Parallèlement à sa prestigieuse carrière universitaire, il est mondialement connu pour son engagement politique et sa critique de la politique étrangère des États-Unis.
Du même auteur chez Agone ; Responsabilités des intellectuels, 1998, De l’espoir en l’avenir, 2001, De la guerre comme politique étrangère des États Unis, 2004, La Fabrication du consentement, 2008.
> Consultez l'agenda pour connaître nos rendez-vous (3 évenements)

TABLE DES MATIÈRES

Chomsky devant ses calomniateurs. Quelques observations,
préface de Jacques Bouveresse

Première partie. La nature humaine
1. Langage et liberté (1970)
2. Un savoir qui ne s’apprend pas (1983)
3. Égalité. Sur le développement du langage, l’intelligence humaine et l’organisation sociale (1987)

Deuxième partie. Les intellectuels contre la vérité
1. Les intellectuels de gauche et l’objectivité (1968)
2. Science et rationalité (1992)

Troisième partie. Les intellectuels et le contrôle des esprits
1. La prêtrise séculière et les périls de la démocratie (1999)
2. Propagande et contrôle de l’esprit public (1997)

Quatrième partie. Éducation à l’obéissance, éducation à la liberté
1. La guerre froide et l’université (1997)
2. Quelques remarques sur l’éducation devant la Commission du MIT (1969)
3. Pour la défense du mouvement étudiant
4. Pour en finir avec la domestication à l’école (1999)

*****

Les politiciens sophistes et les intellectuels cherchent à dissimuler le fait que la caractéristique essentielle et véritablement déterminante de l’homme réside dans sa liberté. « Ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la servitude par la patience avec laquelle ceux qu’ils ont sous les yeux supportent la leur, sans songer qu’il en est de la liberté comme de l’innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu’autant qu’on en jouit soi-même et dont le goût se perd sitôt qu’on les a perdues. » A contrario, Rousseau demande « si, la liberté étant la plus noble des facultés de l’homme, ce n’est pas dégrader sa nature, se mettre au niveau des bêtes esclaves de l’instinct, offenser même l’auteur de son être, que de renoncer sans réserve au plus précieux de tous ses dons, que de se soumettre à commettre tous les crimes qu’il nous défend, pour complaire à un maître féroce ou insensé ». C’est aussi la question posée en termes similaires par nombre de réfractaires à l’incorporation au cours de [la guerre du Vietnam] et par bien d’autres encore qui se remettent à peine de la catastrophe qu’a représenté le xxe siècle pour la civilisation occidentale et qui a si tragiquement confirmé l’opinion de Rousseau.
Rousseau voit dans « les prodiges qu’ont faits tous les peuples libres pour se garantir de l’oppression » la démonstration de sa doctrine selon laquelle le combat pour la liberté est un attribut fondamental de l’homme et que la valeur de cette liberté n’est reconnue qu’aussi longtemps qu’on en jouit. En effet ceux qui ont abdiqué la vie d’homme libre « ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent dans leurs fers, […] mais quand je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance et la vie même à la conservation de ce seul bien si dédaigné de ceux qui l’ont perdu ; quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés européennes et braver la faim, le feu, le fer et la mort pour ne conserver que leur indépendance, je sens que ce n’est pas à des esclaves qu’il appartient de raisonner de liberté ».
Quarante ans plus tard, Kant exprimait des idées plus ou moins identiques. Il lui est impossible, dit-il, d’accepter l’idée selon laquelle certaines personnes « ne sont pas mûres pour la liberté », comme par exemple les serfs appartenant à des propriétaires : « Si l’on accepte cette idée, on n’atteindra jamais à la liberté car on ne peut devenir mûr pour la liberté sans l’avoir auparavant conquise. On doit être libre pour apprendre à faire usage de ses capacités librement et utilement. Les premières tentatives seront sans doute brutales et conduiront à un état des choses plus douloureux et dangereux que la situation antérieure placée sous la domination mais également sous la protection d’une autorité extérieure. Néanmoins, on ne peut atteindre à la Raison qu’au travers de ses propres expériences et il faut être libre pour être capable de vivre ces dernières. »
Cette remarque est particulièrement intéressante en raison de son contexte. C’est en pleine Terreur que Kant défendait ainsi la Révolution française contre ceux qui prétendaient qu’elle apportait la preuve que les masses n’étaient pas prêtes à se voir conférer le privilège de la liberté. Aucun individu rationnel ne peut approuver la violence et la terreur. Surtout que la terreur de l’État post-révolutionnaire tombé entre les mains d’une sinistre autocratie a plus d’une fois atteint un niveau indicible de sauvagerie. Mais aucun individu doué de compréhension ou d’humanité ne condamnera cependant trop rapidement la violence qui explose souvent lorsque les masses trop longtemps soumises se dressent contre leurs oppresseurs ou font leurs premiers pas sur la voie de la liberté et de la refondation sociale.

Aucun commentaire: