Essai sur les
premiers principes du gouvernement
Traduit par Philippe
Folliot (février 2008)
Professeur de Philosophie au lycée Jehan Ango de Dieppe
De
OF THE FIRST PRINCIPLES OF GOVERNMENT
in
Essays, Moral and Political
1 volume
Edinburgh, A. Kincaid
1741
Essai sur les premiers principes du gouvernement
Traduit par Philippe
Folliot (février 2008)
Professeur de Philosophie au lycée Jehan Ango de Dieppe
Rien ne paraît plus
surprenant à ceux qui considèrent les affaires humaines d’un œil philosophique
que la facilité avec laquelle la majorité est gouvernée par la minorité et la
soumission entière avec laquelle les hommes sacrifient leurs propres sentiments
et passions à ceux de leurs chefs. Quand nous recherchons comment se fait un
tel prodige, nous constatons que, puisque la force est toujours du côté des
gouvernés, les gouvernants ne peuvent s’appuyer que sur l’opinion. C’est donc
sur la seule opinion que le gouvernement se fonde, et cette maxime s’applique
autant aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaires qu’aux
gouvernements les plus libres et les plus populaires. Le sultan égyptien ou
l’empereur romain peut bien conduire ses sujets inoffensifs comme un troupeau
de bêtes, contre leurs sentiments et leurs inclinations, mais il doit du moins
avoir mené ses mameluks ou sa garde prétorienne comme des hommes,
par l’opinion.
Il y a deux sortes
d’opinion, l’opinion d’intérêt et l’opinion de droit. Par opinion
d’intérêt, j’entends surtout le sentiment de l’avantage général qu’on retire du
gouvernement, sentiment lié à la conviction que le gouvernement particulier qui
est établi est aussi avantageux que tout autre qui pourrait l’être facilement.
Quand cette opinion prévaut chez la plupart des hommes d’un Etat qui détiennent
la force, elle procure au gouvernement une grande sécurité.
Il y a deux sortes de droit, le droit au pouvoir
et le droit à la propriété. Que l’opinion de la première sorte prévale
chez les hommes, on peut facilement le comprendre en observant l’attachement de
toutes les nations à leur ancien gouvernement et même à ces noms qui ont été
sanctionnés par l’ancienneté. L’ancienneté produit toujours l’opinion d’un
droit et, quelque désavantageux que soient les sentiments que nous nourrissions
à l’égard des hommes, on les trouve toujours prodigues de sang et de trésors
pour conserver la justice publique. [1]
En vérité, à première vue, aucun point ne révèle une plus grande contradiction
de l’esprit humain que ce point présent. Quand les hommes agissent pour une
faction, ils sont capables, sans honte ni remords, de négliger toutes les lois
de l’honneur et de la morale afin de servir leur parti et, pourtant, quand une
faction se forme sur un point de droit ou de principe, il n’est pas d’occasion
où les hommes ne révèlent une plus grande obstination et un sens plus déterminé
de la justice et de l’équité. C’est la même disposition sociale des hommes qui
est la cause de ces aspects contradictoires.
Tout le monde sait que l’opinion qui
porte sur le droit de propriété a son importance dans toutes les affaires du
gouvernement. Un auteur connu a même fait de la propriété le fondement de tout
gouvernement et la plupart de nos auteurs politiques semblent portés à le
suivre sur ce point. C’est aller trop loin mais il faut tout de même
reconnaître que cette opinion a une grande influence dans ce domaine.
C’est donc sur ces
trois opinions qui concernent l’intérêt public, le droit au pouvoir
et le droit à la propriété que se fondent tous les gouvernements et
toute autorité de la majorité sur la minorité. Il est vrai qu’il existe
d’autres principes qui leur ajoutent de la force et qui déterminent, limitent
ou modifient leur action, comme l’intérêt personnel, la crainte
et l’affection. Néanmoins, nous pouvons affirmer que ces autres
principes ne peuvent avoir une influence quand ils agissent seuls et qu’ils
supposent l’influence antérieure des opinions mentionnées ci-dessus. On doit
donc les considérer comme des principes secondaires et non comme des principes
originels du gouvernement.
En effet, premièrement,
pour ce qui est de l’intérêt personnel – et j’entends par là l’espoir de
récompenses particulières distinctes de la protection générale que nous
recevons du gouvernement – il est évident que, pour produire cet espoir,
l’autorité du magistrat doit être au préalable établie ou, du moins, être attendue.
L’espoir de récompenses peut augmenter son autorité aux yeux de certaines
personnes particulières mais ne peut jamais lui donner naissance aux yeux du
public. Les hommes attendent naturellement les plus grandes faveurs de leurs
amis et de leurs connaissances et c’est pourquoi les espoirs d’un nombre
important de personnes de l’Etat ne se concentreraient jamais sur un groupe
particulier d’hommes si ces hommes n’avaient aucun autre titre à la
magistrature et n’avaient aucune influence séparée sur les opinions des hommes.
La même observation peut s’appliquer aux deux autres principes, la crainte
et l’affection. Personne n’aurait de raisons de craindre la fureur d’un
tyran si ce dernier n’avait aucune autorité supérieure à celle qui vient de la
crainte puisque, si on le considère en tant que particulier, sa force physique
n’a qu’une faible portée et son pouvoir au-delà de cette force particulière
doit se fonder soit sur notre propre opinion, soit sur celle qu’on présume en
autrui. Et quoique l’affection pour la sagesse et la vertu d’un souverain
s’étende très loin et ait une grande influence, il faut cependant supposer
qu’il est antérieurement investi d’un caractère public. Autrement, l’estime
publique ne lui servirait à rien et sa vertu n’aurait aucune influence au-delà
d’une sphère restreinte.
Un gouvernement peut
durer plusieurs générations alors que la balance du pouvoir et la balance de la
propriété ne coïncident pas, ce qui arrive surtout quand un rang ou un ordre
dans l’Etat a acquis une large part de la propriété mais que, selon la
constitution originelle du gouvernement, il n’a aucune part du pouvoir. Quel
sera le prétexte d’un individu de cet ordre pour s’emparer de l’autorité dans
les affaires publiques ? Comme les hommes sont couramment très attachés à
leur ancien gouvernement, il ne faut pas attendre que le public favorise une
telle usurpation. Mais, si la constitution originelle accorde une partie du
pouvoir, même faible, à un ordre d’hommes qui possèdent une large part de la
propriété, il leur est facile d’étendre par degrés leur autorité et de faire
coïncider la balance du pouvoir avec la balance de la propriété. Cela a été le
cas avec la Chambre des Communes en Angleterre.
La plupart des
auteurs qui ont traité du gouvernement britannique ont supposé que, comme la
Chambre Basse représente toutes les communes de Grande-Bretagne, son poids dans
la balance est proportionné à la propriété et au pouvoir de tous ceux qu’elle
représente. Mais il ne faut pas reconnaître ce principe comme absolument vrai.
En effet, quoique le peuple soit porté à s’attacher davantage à la Chambre des
Communes qu’à tout autre membre de la constitution puisque cette Chambre est
choisie par lui pour le représenter et qu’elle est le gardien public de sa
liberté, il y a cependant des cas où la Chambre, même quand elle s’opposait à
la Couronne, n’a pas été suivie par le peuple, comme on peut particulièrement
l’observer pour la Chambre Tory sous le règne du roi Guillaume. Si les
membres élus étaient obligés, comme les députés hollandais, de recevoir des
instructions de leurs électeurs, cela changerait entièrement la situation et,
si l’immense pouvoir et les immenses richesses de toutes les communes de
Grande-Bretagne étaient mis dans la balance, il n’est pas facile de voir si la
Couronne pourrait soit influencer la multitude populaire, soit résister à la
balance de la propriété. Il est vrai que la Couronne a une grande influence sur
le corps collectif dans l’élection des membres mais, si cette influence, qui
s’exerce actuellement une fois tous les sept ans, était employée à chaque vote
pour s’attirer le peuple, elle serait bientôt gaspillée et aucun talent, aucune
popularité, aucun revenu ne pourrait la maintenir. Il me faut donc penser qu’un
changement sur ce point provoquerait une totale modification de notre
gouvernement et le réduirait rapidement à une pure république et, peut-être, à
une république d’une forme assez convenable. En effet, quoique le peuple, réuni
en corps comme les tribus romaines, soit tout à fait incapable de gouverner, il
est plus susceptible de raison et d’ordre quand il est dispersé en petits corps
car la force des courants et vagues populaires est dans une grande mesure
brisée, et l’intérêt public peut être poursuivi avec méthode et constance. Mais
il est inutile de raisonner davantage sur une forme de gouvernement qui n’a
vraisemblablement aucune chance de s’installer en Grande-Bretagne et que ne
revendique aucun parti chez nous. Chérissons et améliorons notre ancien
gouvernent sans encourager une passion pour ces nouveautés dangereuses. [2]
Je conclurai ce sujet
en remarquant que l’actuelle controverse politique sur les instructions est une
controverse très frivole et qui ne peut être résolue telle qu’elle est traitée
par les deux partis. Le parti de la nation ne prétend pas qu’un représentant
est absolument tenu de suivre les instructions – comme un ambassadeur ou un
général qui est limité par les ordres qu’ils a reçus – ni que son vote ne doit
être reçu à la Chambre que s’il s’y conforme. Le parti de la cour ne prétend
pas non plus que les sentiments du peuple ne doivent avoir aucun poids aux yeux
des représentants, encore moins que ces derniers doivent mépriser les
sentiments de ceux qu’ils représentent et qui leur sont plus particulièrement
liés. Si leurs sentiments sont de quelque poids, pourquoi ne les
exprimeraient-ils pas ? En fait, la question ne concerne que le poids, le
degré d’importance qu’on doit accorder à ces sentiments. Mais telle est la
nature du langage qu’il lui est impossible d’exprimer distinctement ces
différents degrés et, si les hommes poursuivent une controverse sur ce point,
il peut arriver qu’ils diffèrent au niveau du langage et s’accordent pourtant
sur les sentiments ou que leurs sentiments soient différents et qu’ils s’accordent
cependant au niveau du langage. En outre, comment trouver ces degrés, si l’on
considère la diversité des affaires qui viennent devant la Chambre et la
variété de lieux que les membres élus représentent ? Les instructions de
Totness doivent-elles avoir le même poids que celles de Londres ? Les
instructions sur la Convention, qui concernent la politique étrangère,
doivent-elles avoir le même poids que celles qui portent sur l’accise,
qui concernent seulement nos affaires intérieures ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire